La responsabilité civile contractuelle des sous-traitants (Partie III/IV)

  La responsabilité civile du sous-traitant vis-à-vis du maitre d’ouvrage

La responsabilité civile du sous-traitant envers le maitre d’ouvrage est compliquée et le litige naissant par sa mise en jeu l’est encore d’avantage. Sa nature ainsi que sa mise en jeu dépend, d’une part des contrats liant le maitre d’ouvrage et l’entreprise principale et celui de l’entreprise principale et le sous-traitant, et d’autre part de la législation du pays où le contrat de sous-traitance a été formé.

1 – Quel lien juridique entre le sous-traitant et le maître d’ouvrage?

A l’analyse de l’article 1792-1 du Code civil français, on peut constater qu’il ne mentionne nullement le sous-traitant dans la liste des personnes assujetties à la responsabilité décennale ce qui explique que la responsabilité du sous-traitant face au maître d’ouvrage ne peut être retenue dans le cadre de la garantie décennale. En d’autres termes, le maître d’ouvrage n’a aucun moyen de mener une action contre le sous-traitant dans le cadre de cette responsabilité décennale et se voit de ce fait contraint de s’en remettre au droit commun. Cette situation n’est pas sans difficulté pour le maître d’ouvrage qui se voit contraint de mener son action contre le sous-traitant ; sur la base du principe de l’ « effet relatif des contrats » ; en tant que tiers dans le cadre de la responsabilité quasi délictuelle ; et de ce fait devrait apporter la preuve de la faute commise par le sous-traitant. Cette action du maitre d’ouvrage serait basée sur l’article 1382[1] du code civil français. Ce qui impliquerait l’apport nécessaire de la preuve de l’existence matérielle de la faute commise par le sous-traitant telle l’inexécution des travaux qui lui sont confiés, dérogation aux règles d’urbanisme, non respect des normes ou règlements de la construction, etc.

Par ailleurs, on peut noter aussi que le code civil français a prévu dans son article 1386-1[2] la responsabilité du sous-traitant pour utilisation de produits défectueux. Cette disposition montre à quel point le législateur français se soucie de la sécurité du maître d’ouvrage. En outre, il ne s’agit pas de prendre en considération une atteinte à la destination du bien en cause mais le défaut de sécurité[3].

Vu que la loi ne retient pas la responsabilité contractuelle du sous-traitant envers le maitre d’ouvrage et que ce dernier ne peut appeler en cause le sous-traitant que dans le cadre de la responsabilité quasi délictuelle, le contrat liant l’entreprise principale au sous-traitant peut palier à ce problème.

En effet, la responsabilité du sous-traitant vis-à-vis du maitre d’ouvrage peut naitre du contrat liant l’entreprise principale au sous-traitant. Afin de créer un lien de droit entre le sous-traitant et le maitre d’ouvrage, le contrat liant l’entreprise principale et le sous-traitant devrait renfermer une clause du type :

« La responsabilité du sous-traitant reste entière à l’égard du maitre d’ouvrage. Il reste garant vis-à-vis du maitre d’ouvrage pour tous les travaux qu’il a contractés et réalisés pour le compte de l’entreprise principale. Sa responsabilité est engagée notamment vis-à-vis du maitre d’ouvrage pour toutes les garanties légales : garantie décennale, garantie de parfait achèvement, garantie de bon fonctionnement et toute garantie de vices rédhibitoires édictée par la loi. »

Cette situation a été confirmée par des arrêts de la cour de cassation en France dont celui-ci[4] :

« Attendu, selon l’arrêt attaqué (Rennes, 17 mars 1978) que les établissements MINANGOY-POYET ont réalisé le lot couverture-étanchéité d’un ensemble de bâtiments construits pour le compte de la société DELHOMMEAU et CIE (société DELHOMMEAU), maitre de l’ouvrage, sur les plans et sous la surveillance de la société d’études techniques (SOCOTEC) ; qu’à la suite de malfaçons apparues dans la couverture de ces bâtiments, la société DELHOMMEAU a assigné la SOCOTEC et les établissements MINANGOY-POYET ; etc.

Mais attendu, d’une part, que la cour d’appel, qui s’est expressément référée à « l’offre de la SOCOTEC du 5 juillet 1962, page 3, 4e paragraphe », selon laquelle cette entreprise précisait qu’elle établirait, au nom de la société DELHOMMEAU et en conformité avec les clauses générales de cette dernière, toutes les commandes et tous les cahiers des charges pour les fournitures, en spécifiant notamment que la responsabilité des constructeurs et entrepreneurs resterait entière à l’égard du maitre de l’ouvrage, a pu en déduire l’existence d’un lien de droit entre les établissements MINANGOY-POYET et la société DELHOMMEAU »

Par ailleurs, le sous-traitant ne peut se retourner contre le maitre d’ouvrage pour non paiement que dans des conditions précises. En effet, lorsque le sous-traité n’est pas occulte, le maître d’ouvrage n’est tenu de payer le sous-traitant sur l’action directe exercée contre lui que s’il n’a pas encore payé l’entrepreneur principal lorsqu’il reçoit la mise en demeure ou si, l’ayant reçue, il a continué à payer ce dernier[5]. C’est donc au maitre d’ouvrage de justifier les sommes versées et la date de leur versement à l’entrepreneur principal afin d’établir que l’action directe ne pourrait être accueillie. En définitive, Il appartient au maître d’ouvrage de justifier qu’il a effectivement payé l’entrepreneur principal des travaux exécutés et ce en produisant les preuves de la date et du montant payé[6].

2 – Vices cachés et exonération du sous-traitant de sa responsabilité contractuelle

Avant d’analyser les situations d’exonération de responsabilité du sous-traitant, il serait nécessaire de définir tout d’abord deux situations de vices. Le vice apparent avant la réception des travaux et le vice caché qui peut ne pas apparaitre avant la réception mais se manifeste bien après la réception des travaux. D’ailleurs, cette manifestation de vices cachés peut prendre des mois voir des années après l’acte de la réception des travaux. Contrairement à l’entreprise principale, le sous-traitant n’est tenu pour responsable ; en fin de compte ; que pour les vices apparents et détectables avant la réception des travaux[7]. Par contre, l’entreprise principale peut voir sa responsabilité engagée envers le maître d’ouvrage et retenue pour réparation des dommages ; telle qu’elle est définie dans l’article 769 du DOC ; pour des vices cachés pouvant apparaitre et se manifester en période décennale.

3 – Risques liés à l’exécution des travaux

Les entreprises marocaines se trouvent parfois dans des situations inconfortables face à l’engagement de leur responsabilité pour des sinistres survenant en cours d’exécution des travaux. Leur intervention n’est pas dénudée de risques qui peuvent s’avérer graves et produire des accidents corporels. Leur responsabilité n’est certainement pas à l’abri en cas de survenance de sinistre sur chantier ou après réception des travaux. Néanmoins, cette situation pourrait être atténuée si le système législatif et d’assurance étaient au niveau de répondre à cette situation. A cela s’ajoute les problèmes juridiques produits par l’effet de la réception. L’existence de ces deux réceptions ; l’une provisoire et l’autre définitive fait naitre des litiges entre maitres d’ouvrages et entreprises et mobilise les entreprises dans les chantiers des mois voir des années après l’achèvement des travaux. La proposition de créer un système de réception unique pourrait résoudre ces problèmes et permettrait aux maitres d’ouvrages d’exploiter leurs édifices et l’entreprise de se libérer de son obligation de garder indéfiniment la construction.

[1] France Code Civil Art. 1382 : « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »

[2] France Code Civil Art Article 1386-1 : «  Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu’il soit ou non lié par un contrat avec la victime. »

[3] PONCE (C), Droit de l’assurance construction, Paris, GUALINO LEXTENSO EDITIONS, 2ème éd, 2011, P 106

[4] France Cour Cassation Chambre Civile 3 Arrêt N° 78-15890 du 22 Avril 1980, Bul Civ N° 78

[5] GRELIER WYCKOFF (P), Pratique du droit de la construction – Marchés publics et privés, Paris, ÉDITIONS EYROLLES, 5ème éd, 2007, P 127

[6] France Cass. Ch Civ. 3, 8 novembre 2006, Société Cinéma Le Palace c/ Banque Rhône-Alpes

[7] MALLIVAUD (P) et JESTAZ (P), Droit immobilier 1980, P 111 N° 89.

Mohamed Jamal BENNOUNA Ingénieur

Expert et Docteur en Droit

Professeur associé au CNAM – Paris Email :

[email protected]

 

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