Les vertus de la généralisation des assurances «Tous risques chantier» et «Responsabilité civile décennale» sur la sécurité des personnes et des investissements dans le secteur du BTP

C’est la dernière ligne droite avant l’adoption du projet de loi 59-13 instituant deux assurances obligatoires dans le secteur du BTP, la «Tous risques chantier» et la «Responsabilité civile décennale». Le texte, soumis sous peu au Parlement, aura le mérite de renforcer le contrôle sur les chantiers et améliorer la qualité du bâti. Explications.
Il y a quelques mois, le gouvernement Benkirane a sorti de ses tiroirs un ancien projet de loi et l’a dépoussiéré pour le remettre dans le circuit de l’approbation. Le projet de loi 59-13 portant sur un amendement des dispositions du Code des Assurances apporte des nouveautés de taille, de nature à mettre à niveau et revigorer l’activité assurance au Maroc. Parmi ces nouveautés, il y en a une qui revêt un caractère particulier dans ce sens où elle aura le mérite de booster le chiffre d’affaires du secteur des assurances et tirer vers le haut la qualité des chantiers : C’est la rubrique « Obligation d’assurances ». En effet, concernant le BTP, ce projet de loi rend
obligatoire la souscription des assurances «Tous risques chantier» et «Responsabilité civile décennale» pour le maître d’ouvrage, l’ingénieur et l’architecte en charge du chantier, alors qu’à ce jour, elle n’est considérée comme incontournable que pour des grandes entreprises structurées qui veulent soumissionner aux marchés publics. Cette avancée, qui prend son dernier virage, va briser l’isolement du Maroc, seul pays encore à la traîne dans ce domaine, sachant que l’obligation d’assurance liée à la construction est instituée dans la plupart des pays voisins et du continent africain (Algérie, Tunisie, Égypte, Nigeria, Cameroun). Il en va de même pour l’Espagne, la France, la Turquie… Dans ces pays, il va sans dire que l’activité de construction est caractérisée par une multitude de risques pouvant toucher les ouvrages et les matériaux de construction et susceptibles d’entraîner des dommages corporels et matériels aux tiers. Et que par conséquent, la généralisation de ces deux assurances est un acquis qui invite constamment à une réflexion sur des assurances complémentaires.
Les risques de l’activité peuvent être la conséquence de plusieurs événements : dé- fauts de construction; erreurs de conception; fausses manœuvres; bris et détériorations; effondrement incendie ou explosion; vol; dégâts dans les canalisations d’eau… Et les vertus de l’assurance en matière de construction, qui ne sont plus à démontrer, sont nombreuses : Renforcer la protection des tiers,garantir, simplifier et accélérer la réparation des dommages corporels et matériels, sécuriser les investissements (constructions, matériels et matériaux…), éviter des situations de ruine financière (pour le maître d’ouvrage et les intervenants), et contribuer à la professionnalisation le secteur et améliorer la qualité des constructions. Des étapes franchies
Malgré le retard accusé, il ne faut oublier qu’au Maroc, plusieurs étapes ont été franchies depuis le lancement du débat sur la généralisation de ces deux assurances à la moitié des années 90 du siècle écoulé.
Actuellement, après son adoption en conseil du gouvernement, le cabinet Benkirane a introduit, il y a quelques semaines seulement, dans le circuit législatif, ce projet de loi portant obligation des assurances de construction. Il a été bel et bien soumis au Parlement pour adoption. La partie n’est cependant pas gagnée d’avance. C’est le cas de le dire. Encore faut-il que les parlementaires n’enterrent pas cette grande révolution dans le secteur du BTP. Pour quelque temps, du moins.
Une fois ces assurances entrées en vigueur, un entrepreneur ne pourra alors plus avoir l’autorisation de construire que s’il présente une assurance de type ‘’Tous Risques Chantier’’. Et aucune personne ne pourra prendre possession de son immeuble en l’absence d’une Garantie Décennale (RCD). Ces deux garanties sont les poutres qui soutiendraient les fondements du contrat-programme du secteur des assurances, premier du genre, qui fut le 13 mai 2011 entre la profession et le gouvernement, représenté par neuf départements ministériels dont notamment le ministè- re chargé de l’Habitat, EN COUVERTURE EN COUVERTURE le ministère chargé de l’Equipement et le ministère de l’Intérieur.
Cette obligation des assurances devait en principe être l’un des leviers du contrat-programme du secteur 2011-2015, avec l’objectif de doubler le chiffre d’affaires du secteur à l’horizon 2015. Ce levier en particulier n’a pas été activé. Ainsi, malgré les avancées remarquées, les objectifs chiffrés du contratprogramme ne seront pas atteints.
Ce contrat programme prévoit, entre autres, un certain nombre de mesures visant l’extension de la protection des populations et des biens à travers, notamment, l’instauration, de manière progressive, de l’obligation de souscription de certaines assurances.
Prévues dans le Contrat-programme des Assurances, qui s’est fixé des objectifs à atteindre sur une période de cinq ans, la « Responsabilité Civile Décennale (RCD) » et la « Tous risques chantier (TRC) » permettront de diligente la procédure d’indemnisation des victimes qui trouveront dans l’assureur une tiers-payant plus solvable. Elles s’ajouteront à une troisième assurance, jugée elle aussi prioritaire, en l’occurrence la Responsabilité Civile Habitation visant à protéger le voisinage des dégâts qui peuvent lui être causé.
Activité accidentogène Le grand apport de la RCD est de protéger les acquéreurs, puisque c’est l’assurance qui prendra en charge la réparation en cas de problème. Aussi, cette garantie contribuera nécessairement à améliorer la qualité du bâti eu égard au suivi effectué par les assurances. Quant à la TRC, elle protégera mieux les entreprises du fait que leur responsabilité civile ne sera plus engagée. En sus de cela, ces deux garanties, une fois généralisées, auront le mérite de booster le chiffre d’affaires du secteur des assurances. Mais c’est surtout pour leur couverture des risques liés aux chantiers et à la construction, l’activité la plus accidentogène, que la généralisation deux assurances parait d’une extrême utilité. Aujourd’hui, les assurances relatives aux constructions sont facultatives et non obligatoires à l’exception de celles exigées dans le cadre de marchés publics, entre autres. Les maîtres d’ouvrage ont le libre choix de souscrire ces assurances ou de s’en abstenir. Et les répercussions, fâcheuses soient-elles, se font sentir sur les accidents enregistrés sur les chantiers BTP. Les faits sont têtus. Et les chiffres parlent d’euxmêmes. Les statistiques du secteur des assurancesrévèlent qu’entre 2009 et 2011, 7.700 accidents ont été déclarés par les assurés qui ont contracté ces garanties pour une indemnisation de 745 millions de dirhams. Ces accidents engendrent bien entendu des victimes. Enormément Près de 2000 ouvriers meurent chaque année sur les chantiers de la construction. Un constat alarmant expliqué en partie par l’absence d’une réglementation claire sur la sécurité au travail. Un chiffre livré par des professionnels en l’absence de statistiques officiels. La cause ou plutôt les causes sont connues. L’anarchie qui règne sur les chantiers et l’absence des équipements et mesures de sécurité engendrent cette hécatombe. De cause à effet, le travail en hauteur, l’utilisation non maîtrisée par une main d’œuvre non qualifiée d’engins et la manutention, augmentent le taux du risque. L’absence de normes de sécurité bien claires dans le secteur rend la lutte contre le
phénomène inefficace. Seules 13.000 sur 60.000 entreprises évoluant dans le BTP au Maroc travaillent dansle formel
et sont déclarées à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). Et moins de la moitié seulement sont structurées et mettent la sécurité sur la liste de leurs priorités. Dans un secteur qui emploie un peu plus de 1 million de personnes dont 70% d’entre elles ne bénéficient pas d’une assurance, la question devait accaparer l’attention des pouvoirs publics depuis longtemps. Pour remédier à cette situation, les deux assurances, si el- EN COUVERTURE les sont généralisées,auront le mérite de renforcer la protection des tiers, de sécuriser les investissements et de contribuer à l’amélioration de la qualité dans le bâtiment.
Une révolution douce Que le projet de loi 59-13 atterrisse dans les mains des parlementaires, c’est en soi un grand pas en avant. C’est une révolution douce qui a pris plusieurs années avant de se percer un chemin vers l’hémicycle. Bien des étapes ont été franchies depuis 1995, date à laquelle la Fédération marocaine des sociétés d’assurance et de réassurance soulignait déjà la nécessité d’une telle généralisation. En 2011, le projet était quasiment ficelé. Les trois gouvernements, qui se sont succédé depuis à la gestion de la chose publique, ont toujours trouvé un alibi pour remettre à plus tard l’adoption de garanties d’assurance qui devaient être rendues obligatoires.
Le retard dans l’adoption de cette reforme du Code des assurances et par conséquent de la généralisation de la TRC et la RCD était expliqué par des professionnels par le fait que le nombre de bureaux de contrôle et d’étude qui existent, serait insuffisant pour faire face à la demande des compagnies d’assurance en matière de contrôle. Mais c’était peu pour ne pas dire pas du tout convaincant. Car il faut toujours avoir les moyens de ses ambitions.
Mais avant d’approfondir le débat sur une question cardinale qu’est le contrôle des mesures de sécurité requises, il importe d’abord de répondre à ces questions qui s’imposent d’elles-mêmes.Quels risques ces garanties couvriront-elles ? Qui seront les professionnels concernés ? Combien coûteront elles et quel sera le niveau de la prime?
L’assurance «Tous risques chantier» (TRC) couvre les dommages causés à un ouvrage en cours de construction, ceux causés aux matériaux et matériels de construction ainsi que les dommages matériels et corporels causés aux tiers du fait du maître d’ouvrage (le propriétaire du projet) ou du fait d’un des intervenants sur le chantier, notamment les entreprises qui y interviennent. Les éventuels accidents dont seraient victimes les salariés et employés du chantier ne sont pas couverts par cette assurance puisque ceux ci sont censés l’être par le truchement d’une assurance accident de travail, obligatoire par ailleurs. Et comme son nom l’indique, la TRC permettra de couvrir les dommages causés à l’ouvrage ou au tiers qui seront indemnisés sans recherche préalable de la responsabilité. Procédures simplifiées Quant à l’assurance Responsabilité civile (RC) décennale, elle a pour objet de couvrir les dommages causés à l’ouvrage résultant d’un événement engageant la responsabilité civile décennale de l’entreprise de construction mais aussi de l’architecte et des bureaux d’études et d’ingénierie. Il s’agit en réalité, de garantir aux futurs propriétaires une protection durable et effective dans la mesure où parfois les personnes civilement responsables d’un dommage ultérieur comme l’entrepreneur, l’architecte ou le bureau d’études peuvent ne pas être solvables pour faire face à une demande d’indemnisation. Dans certains cas, ils peuvent disparaître du marché quelques années plus tard à cause d’une faillite ou d’un changement d’activité. C’est pour colmater cette brèche laissée entrouverte que l’assurance RC Décennale deviendra obligatoire. Et dans le projet de loi, le législateur a pensé à toutes les éventualités possibles afin de simplifier les procédures de manière à ce que les victimes de sinistres soient rapidement et facilement indemnisées.
Il reste à savoir quels sont les types de chantiers et d’ouvrages couverts par ces assurances censées devenir obligatoires dans un futur proche. La ré- ponse est claire : Deux catégories sont éligibles aux obligations d’assurance TRC et RC décennale. D’abord, les constructions destinées à l’habitation qui comportent plus de 3 étages ou dont la superficie couverte totale dépasse les 800 mètres carrés. Ensuite, on trouve toute construction à usage industriel, commercial ou de services dont la superficie couverte totale dépasse les 400 mètres carrés et destinée à certaines activités. C’est le cas de l’hôtellerie, des parcs de stationnement, des bureaux, des commerces, des centres d’accueils des personnes âgées ou à besoins spécifiques, des salles de conférences, d’auditions et de spectacle. Idem pour les établissements d’enseignement, les bibliothèques et des centres de documentations. Sous un autre angle, le projet de loi a retenu pour la « Tous risques chantier» un taux de prime compris entre 0,1 et 0,2% et pour la «Responsabilité civile décennale» un taux entre 0,5 et 1% qui seront dans les deux cas appliqués au montant global des travaux de construction.
Pour certains analystes, ces deux nouvelles assurances peuvent désintéresser toutes les entreprises de BTP de manière générale et les promoteurs immobiliers particulièrement car leur coût finira par entamer les marges bénéficiaires de ces derniers. Une analyse qui se défend, peu ou prou. Mais au vu des dépenses liées aux dommages et intérêts et aux pénalités générées par les accidents de travail et les vices de construction, cette analyse perd de sa crédibilité.
Fraudes et sanctions En dépit de cette argumentation raisonnable, d’aucuns continuent à croire, dur comme fer, qu’une large frange d’entrepreneurs du BTP chercheront toujours à s’y soustraire à l’instar d’entreprises évoluant dans d’autres secteurs d’activités, par rapport à leurs obligations sociales et légales.
Mais attention ! Depuis que le débat est lancé au début des années 90, cette question a été longuement ruminée. Les échanges entre les différents intervenants ont servi à la cerner et à barricader l’accès aux fraudeurs. En effet, le législateur a verrouillé le système puisqu’un dispositif de contrôle, bien ficelé, a été mis en place en amont et en aval.
Avant l’ouverture du chantier, une attestation d’assurance,délivrée par une entreprise d’assurances et de réassurance faisant présumer que l’obligation d’assurance pré- vue à l’article 157-1 a été satisfaite, doit être déposée auprès de la commune. Une copie de cette attestation doit être également déposée auprès de l’autorité locale.
Les personnes chargées de constater, en vertu de la loi n° 12-90 relative à l’urbanisme promulguée par le dahir n° 1-92-31 du 15 hija 1412 (17 juin 1992), les infractions à ladite loi ainsi que les infractions aux règlements généraux ou communaux de construction et d’urbanisme peuvent vérifier la satisfaction de l’obligation d’assurance visée à l’article 157-1 précité. Une copie de l’attestation d’assurance visée au 1er alinéa ci-dessus doit être présentée auxdites personnes lors des opérations de vérification. De l’autre côté, toute demande de permis d’habiter ou de certificat de conformité concernant les ouvrages auxquels s’applique l’obligation d’assurance prévue à l’article 157-1 ci-dessus doit être accompagnée d’une attestation d’assurance datant de moins de 3 mois délivrée par une entreprise d’assurances et de réassurance justifiant que cette obligation est satisfaite.
Verrouillage jurisprudentiel Résumons. Avant même le démarrage du chantier, le maître d’ouvrage sera obligé, entre autres démarches, de déposer une attestation d’assurance auprès de la commune ou de l’autorité locale qui lui délivre l’autorisation de construire. De même, en aval, une attestation d’assurance sera désormais exigée au moment de demander le permis d’habiter ou du certificat de conformité. De même, le texte prévoit des possibilités pour les autorités compétentes de contrôler à tout moment sur le chantier le respect de l’obligation d’assurance. Et en cas où les dubitatifs continueraient à soutenir leur thèse relative à l’existence des moyens de fraude, sur ce point, la loi prévoit plusieurs contrôles et de lourdes sanctions contre les maîtres d’ouvrage qui ne se plieraient pas à l’obligation d’assurance. Un premier niveau de prévu consiste en la vérification sur place de la satisfaction des obligations d’assurance par des agents chargés de constater les infractions à la législation et à la réglementation relatives à l’urbanisme. Une amende de 500 à 1.000 DH est prévue contre les maîtres d’ouvrage ne produisant pas les attestations demandées. Un deuxième niveau de contrôle est prévu par la RCD. Ainsi, à défaut de production de cette attestation d’assurance de ce genre nécessaire à toute demande de permis d’habiter ou de
certificat de conformité, un procès-verbal est transmis au procureur du Roi pour en apprécier la suite à lui donner. Ce n’est pas tout. Hormis cela, une amende de 10.000 à 100.000 dirhams (DH) est instaurée pour tout maître d’ouvrage ne respectant pas l’obligation de souscrire une RCD. S’agissant de la TRC, des sanctions distinctes sont prévues pour la non-souscription aux garanties dommages à l’ouvrage et la responsabilité civile chantier. Pour la première, l’amende est de 6 DH multipliés par le nombre de mètres carrés de la superficie couverte. La non souscription de la seconde donne lieu à une amende de 5.000 DH à 100.000 dirhams(DH).
Et comme toute règle qui cache des exceptions,l’obligation de souscription de ces deux nouvelles assurances ne concerne pas certains chantiers. Il s’agit en l’occurrence des projets publics et des infrastructures. Bref, les marchés publics qui constituent les gros donneurs d’ordres du secteur du BTP et 80% au moins du chiffre d’affaires et de l’activité des opérateurs privés dans ce secteur.
Le texte a, en effet, exclu de l’obligation d’assurance «Tous risques chantier» et la « Responsabilité civile décennale » les ouvrages construits pour le compte de l’Etat. Il y a toutefois une explication rationnelle à cette exception. Elle est simple. Au fait, la réglementation sur les marchés publics prévoit déjà une obligation d’assurance pour les entreprises soumissionnaires. Dans le projet de loi, sont exclus de cette obligation les équipements d’infrastructure, les ouvrages d’art et les ouvrages de génie civile notamment les routes, les autoroutes, les ponts, les barrages, les digues, les châteaux et réservoirs d’eau, les ouvrages d’infrastructure routières, portuaires, aéroportuaires, héliportuaires et ferroviaires, les voieries, le ouvrages piétonniers, les ouvrages de télécommunication ainsi que les ouvrages de transport, de production, de stockage et de distribution d’énergie.
Tout compte fait, en dehors de l’aubaine que représente la généralisation de ces deux garanties pour les compagnies d’assurances marocaines, la « Tous risques chantier » et la « Responsabilité civile décennale » ne manqueront pas d’assainir le secteur du BTP trompé depuis des décennies dans l’anarchie et sombrant, dans sa grande composante, dans les méandres de l’informel. Elles le seront bientôt obligatoires. On l’espère. Pour bientôt.

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