La responsabilité civile contractuelle des sous-traitants (Partie II/IV)

 La responsabilité contractuelle des sous-traitants

La mondialisation impose de plus en plus la division de travail et « la spécialisation dans la spécialisation ». Les entreprises sont devenues contraintes de pratiquer la sous-traitance et déléguer une part des travaux à une ou plusieurs entreprises. Mais en même temps, il est fort regrettable de voir parfois la sous-traitance utilisée à 100% réduisant ainsi l’entreprise principale à un simple intermédiaire entre le maître d’ouvrage et la société sous-traitante. De ce fait, le sous-traitant réalise les travaux du projet entièrement en place et lieu de l’entreprise principale dont le rôle se réduit à la collecte d’une commission. D’ailleurs, c’est pour cette raison que les marchés publics marocains ne permettent la sous-traitance qu’à hauteur de 50 % du montant des travaux de l’entreprise principale (ou même l’interdire pour certains travaux)[1].

1 – Cadre juridique de la sous-traitance au Maroc et en France

Au Maroc, Hormis le décret N° 2-06-388 du 5 Février 2007 relatif à la passation et contrôle des marchés publics qui a consacré un seul article[2] à la sous-traitance ; et d’ailleurs ; d’une façon sommaire et générale, la législation marocaine est restée muette à ce sujet aussi important que celui de la sous-traitance.

Selon la législation française et notamment la loi N° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance[3], cette dernière est définie [4] par un contrat par lequel une entreprise demande à une autre entreprise de réaliser une partie de sa production ou des composants nécessaires à sa production.

Le sous-traitant est différent du fournisseur car il fabrique un produit conçu par le donneur d’ordres ou ; souvent ; en commun avec lui. Le produit est fabriqué par le sous-traitant pour le compte exclusif du donneur d’ordre et ne porte pas son nom. Le sous-traitant s’engage exclusivement sur la conformité de son exécution par rapport aux directives du donneur d’ordre. Le sous-traitant ne peut être engagé que par l’acceptation du maître d’ouvrage.

Dans la pratique, il existe trois types de sous-traitance :

  • Sous-traitance de spécialité : l’entreprise ne disposant pas du savoir-faire nécessaire pour fabriquer le produit ou le réaliser et donne l’ordre à une autre entreprise de le faire ;
  • Sous-traitance de capacité : l’entreprise est dans l’incapacité financière, technique ou d’organisation de répondre ; à un moment donné ; à produire des commandes supplémentaires ;
  • Sous-traitance de marché : une entreprise confie à une autre entreprise un marché conclu avec un maître d’ouvrage. Le contrat met donc en relation le maître d’ouvrage, l’entreprise en tant que donneur d’ordres, et le sous-traitant.

2 – La relation du sous-traitant vis-à-vis de l’entreprise principale est elle une relation de subordination ?

Certains secteurs sont particulièrement utilisateurs de la sous-traitance, notamment l’industrie automobile, le bâtiment et le transport. Il arrive même que les sous-traitants externalisent à leur tour certains travaux. Ces pratiques ne sont que le résultat du progrès technique accompagné de l’augmentation croissante du nombre d’intervenants pour la réalisation de tâches de production et créant par delà une multitude de spécialisations. Mais en même temps, ce développement rapide de la science et de la technologie s’accompagne de risques tant technologiques que juridiques. En effet, les relations commerciales traduites par des conventions ou contrats deviennent complexes et génèrent parfois des conflits et litiges pouvant arriver jusqu’aux tribunaux. La sous-traitance n’échappe pas à cette règle ; surtout ; lorsque la législation n’encadre et ne cadre pas son environnement et ses relations avec les donneurs d’ordre. En l’absence de lois qui gèrent ces relations contractuelles des sous-traitants, les contrats établis entre parties font foie de loi et laissent de ce fait la porte ouverte à l’interprétation des juges des clauses qui les composent.

Tout d’abord, il y a lieu de définir la nature juridique du sous-traitant telle qu’elle ressort de la jurisprudence. En effet le tribunal de Montpellier a déclaré que celui qui a la qualité de sous-traitant doit avoir réalisé personnellement le montage du produit qu’il a livré même si ce produit a été réalisé sur la base des spécifications de l’entreprise principale[5] et qu’il était apte à être incorporé dans l’ouvrage. En d’autres termes, le sous-traitant est contraint de réaliser lui-même et personnellement le travail qui lui a été confié par l’entreprise principale.

La relation liant le sous-traitant à l’entreprise principale est une relation contractuelle[6] dans le cadre d’un contrat d’entreprise et ne peut être considérée comme une relation de subordination telle qu’elle ressort entre employeur et salarié. Cette position a été exprimée par la cour suprême marocaine « L’élément qui caractérise le contrat de travail réside dans la dépendance, la supervision, l’orientation et le contrôle de l’employeur envers le salarié. Éléments qui ne se trouvent pas dans le contrat d’entreprise »[7].

Dans le même sens, la cour d’appel de Settat a déclaré dans un arrêt « la subordination juridique est l’élément essentiel qui différencie le contrat de travail des autres situations juridiques »[8].

Quant à la nature de la responsabilité contractuelle du sous-traitant envers l’entreprise principale, elle a été considérée comme une responsabilité de résultat par plusieurs arrêts de la cour de cassation. Un pourvoi de la cour de cassation française[9] est venu corroborer la responsabilité de résultat du sous-traitant envers l’entreprise principale « le sous-traitant est tenu d’une obligation de résultat à l’égard de son donneur d’ordres, qui a la qualité d’entrepreneur principal ». En d’autres termes, le sous-traitant est tenu d’un résultat attendu de l’entreprise principale qui l’a engagé. Il ne peut se dérober derrière une quelconque mauvaise connaissance du marché ou encore l’ignorance d’une quelconque disposition l’empêchant de réaliser le travail pour lequel il a été engagé.

Par ailleurs, cette responsabilité ne peut être exonérée même en cas de non paiement des prestations réalisées par le sous-traitant. A cet effet, la cour de cassation française 3ème chambre civile dans son arrêt du 14 décembre 201 Pourvoi N° 10-28149[10] n’a pas exonéré le sous-traitant de sa responsabilité contractuelle envers l’entreprise principale malgré son non paiement pour les travaux qu’il a réalisés.

La responsabilité contractuelle du sous-traitant envers l’entreprise principale apparait très prononcée et ne peut être exonérée qu’en cas de force majeure indépendante de sa volonté et dépassant sa capacité de réagir.

  • 3 – Le régime de responsabilité du sous-traitant vis-à-vis de l’entreprise principale

Le sous-traitant est un contractant de l’entrepreneur alors que ce dernier l’est vis-à-vis du maître d’ouvrage. D’ailleurs, l’article 1792 et suivant du code civil français ne retiennent pas l’entrepreneur comme bénéficiaire de la garantie décennale et de ce fait, la responsabilité civile décennale ne peut pas être invoquée par l’entrepreneur principal à l’encontre de son sous-traitant. Le sous-traitant est donc responsable sur le terrain de la responsabilité civile contractuelle à raison du contrat d’entreprise liant les deux parties[11]. Par conséquent, l’entrepreneur principal ne peut mener une action contre le sous-traitant que sur le fondement de l’article 1147[12] du Code civil français qui prévoit d’ailleurs une obligation de résultat.

Par ailleurs, la responsabilité contractuelle du sous-traitant vis-à-vis de l’entrepreneur principal peut être retenue dans le cas de défaut de conseil (cas d’un sous-traitant reconnu comme spécialise dans son domaine d’intervention présentant une particularité demandant des compétences de haut niveau) ou pour manque ou absence de s’être renseigné et informé auprès de l’entreprise principale pour l’accomplissement d’une tâche ou partie de sa mission.

Quant à la prescription de l’action en responsabilité contre un sous-traitant, elle a été alignée sur la prescription abrégée de dix ans de l’article 2270 du Code civil. Tel qu’il est précisé par l’article 1792-4-2[13], le délai de dix ans prend effet à compter de la date de réception des travaux et non à partir de la manifestation des dommages comme il était le cas avant l’ordonnance du 8 Juin 2005. En fait, avant cette ordonnance, le droit commun de la prescription s’applique par le biais de l’ancien article 2270-1 et qui indiquait une prescription de dix ans à compter de la manifestation du dommage. En d’autres termes, l’entrepreneur principal voyait sa responsabilité engagée pour dix ans à compter de la réception tandis que le sous-traitant supportait une responsabilité à compter de la survenance du dommage. Cette situation a fait naitre un décalage pouvant exposer le sous-traitant à un recours du maitre d’ouvrage au-delà de la période de garantie décennale due par l’entrepreneur principal puisque cette durée de prescription peut arriver au double (20 ans) si le dommage apparaitrait pendant la dernière année de la période décennale.

Ces nouvelles dispositions sont intervenues depuis l’avènement de l’ordonnance du 8 juin 2005 et qui entre autres était à la base de la redéfinition du champ d’application de l’assurance construction autour du concept « travaux de construction » ainsi qu’à la base de précision des plafonds de garantie décennale.

[1] Article 84 du décret N° 2-06-388 du 5 Février 2007 limite le pourcentage de la sous traitance comme suit :

« En aucun cas, la sous-traitance ne peut dépasser cinquante pour cent (50 %) du montant du marché ni porter sur le lot ou le corps d’état principal du marché. Toutefois, le maître d’ouvrage peut fixer dans le règlement de consultation ou dans le cahier des prescriptions spéciales les prestations qui ne peuvent faire l’objet de sous-traitance. »

[2] Article 84 du décret N° 2-06-388 du 5 Février 2007 définit la sous traitance comme suit :

« La sous-traitance est un contrat écrit par lequel le titulaire confie l’exécution d’une partie de son marché à un tiers. Le titulaire choisit librement ses sous-traitants sous réserve qu’il notifie au maître d’ouvrage la nature des prestations qu’il envisage de sous-traiter, ainsi que l’identité, la raison ou la dénomination sociale et l’adresse des sous-traitants et une copie certifiée conforme du contrat précité…etc. »

[3] Modifiée par la Loi 2001-1168 2001-12-11 art. 6 1° JORF 12 décembre 2001 et la la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises

[4] Article 1 « Au sens de la présente loi, la sous-traitance est l’opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l’exécution de tout ou partie de l’exécution du contrat d’entreprise ou d’une partie du marché public conclu avec le maître de l’ouvrage etc. »

[5] France Cour Cassation Chambre Commerciale 13 Mai 1981 Gazette du Palais Tri-hebdomadaire N° 2 Panorama de la Cour de Cassation P 360

[6] SAMII (A),المقاولة من الباطن للصفقة, Traduction Libre: La société sous-traitante du contrat , , Casablanca, SOMADIL,, 2008 P 32.

[7] Maroc Cour Suprême Arrêt N° 496 du 17 Mai 1994 dossier N° 889637 publié dans la revue Arrêts de la Cour Suprême N° 53-54/1999 P 345

[8] Maroc Cour Appel Settat Ar N° 744 du 25 Septembre 1984 Dos Civ N° 3.84.1 Publié dans la revue « Justice et Droit » du Ministère de la Justice N° 135-136 1985 – 1986 P 148 et Suivantes.

[9] France Cour Cassation Chambre Civile 3 16 Juin 1993 N° 91-17212

[10] « Mais attendu que le sous-traitant ne peut se prévaloir du contrat de sous-traitance pour obtenir le paiement de ses travaux et le rejeter pour échapper à ses obligations contractuelles ; que le non-respect par l’entrepreneur principal des dispositions relatives aux garanties de paiement dues à son sous-traitant ne le privant pas du droit d’agir à son encontre en réparation des malfaçons affectant les travaux qu’il a réalisés, c’est à bon droit que la cour d’appel, qui a relevé l’existence de malfaçons imputables à la société EPC, a déduit le coût de leur reprise du solde restant dû »

[11] PONCE (C), Droit de l’assurance construction, Paris, GUALINO LEXTENSO EDITIONS, 2ème éd, 2011, P 104

[12] France Code Civil Article 1147 : « Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu ‘il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part. »

[13] France Code Civil Article 1792-4-2 : « Les actions en responsabilité dirigées contre un sous-traitant en raison de dommages affectant un ouvrage ou des éléments d’équipement d’un ouvrage mentionnés aux articles 1792 et 1792-2 se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux et, pour les dommages affectant ceux des éléments d’équipement de l’ouvrage mentionnés à l’article 1792-3, par deux ans à compter de cette même réception ».

Mohamed Jamal BENNOUNA Ingénieur

Expert et Docteur en Droit

Professeur associé au CNAM – Paris Email :

[email protected]

 

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