Gestion du risque sismique dans les projets de construction IV

6 – Appréciation du risque sismique

L’étude d’implication et d’impact des séismes sur les ouvrages construits ou en cours de construction n’est généralement faite que pour des ouvrages importants : On estime que leur destruction partielle ou totale peut causer des dommages corporels et matériels importants. Néanmoins, la plupart des pays ont établi un code parasismique regroupant les règles élémentaires de construction à respecter au niveau de la conception et l’exécution de l’ouvrage. Dans certaines régions réputées pour leur forte sismicité, ces règlements sont obligatoires et opposables au maître d’ouvrage : c’est le cas de la région d’Agadir au Maroc par exemple. D’ailleurs il faut noter que le Maroc s’est doté depuis longtemps d’un règlement parasismique. Ce règlement RPS 2000 a connu plusieurs mises à jour et actualisations afin d’en faire un règlement plus adapté aux nouvelles données sismologiques ainsi qu’à la complexité des constructions de plus en plus croissante.

Il faut reconnaître que la protection des ouvrages contre les méfaits d’un tremblement de terre est faite dans le but de protéger en premier lieu les vies humaines.

Avant d’exposer une méthode quelconque d’appréciation du risque sismique , il serait judicieux de rappeler les difficultés majeures de cette appréciation.

Il existe une grande différence entre les risques classiques ou conventionnels (incendie et explosion par exemple) et les risques naturels. Il est impossible d’utiliser les concepts de SMP[1] ou SRE[2] pour apprécier le risque sismique , et cela pour les raisons suivantes :

  • Importance du risque : un incendie , lorsqu’il se déclenche, il touche un bâtiment , un groupe de bâtiments ou, à la limite, toute l’usine alors que les conséquences d’un tremblement de terre peuvent toucher des milliers voir des centaines de milliers de Km2. D’ailleurs, en cas de tempête ou d’ouragan, la superficie atteinte peut être beaucoup plus importante.
  • Fréquence de l’événement : Si la fréquence relative à l’incendie ou l’explosion dans un bâtiment reste faible, elle est relativement élevée mais équilibrée pour un portefeuille de plusieurs polices d’assurance . Par contre, la fréquence des événements naturels reste très faible même pour la totalité d’un portefeuille. A partir de ce constat, la loi des grands nombres ne peut en aucune façon être utilisée pour suivre l’évolution de la sinistralité . Au grand regret, on peut constater qu’à l’intérieur d’une même zone susceptible d’être touchée par un événement naturel, l’ampleur des dommages augmente à mesure que le nombre des risques individuels augmente. D’ailleurs, c’est pour cette raison que les réassureurs ont toujours peur du cumul de plusieurs risques dans une même région susceptible d’être touchée par un événement naturel tel qu’un tremblement de terre .

En matière d’appréciation du risque sismique en assurance dommage , on considère les paramètres suivants :

  1. La probabilité d’occurrence des tremblements de terre : exposition au danger ;
  2. Nature et importance des structures : vulnérabilité aux dommages et niveau de protection du risque jugé acceptable ;
  3. Les valeurs assurées : montant et distribution des engagements dans la zone considérée ;
  4. Les conditions d’assurance : risques couverts et conditions de couverture .

  6.1 – Probabilité d’occurrence des tremblements de terre : exposition au danger

L’exposition au danger d’une zone donnée ne peut être correctement quantifiée que si on connait le passé sismique de la zone concernée sur une longue période. Or ce genre d’informations n’existe malheureusement pas pour toutes les régions du globe : le catalogue de séisme de la Chine remonte à des millénaires.

Notons que les écrits anciens décrivent les conséquences des tremblements de terre sur l’environnement ce qui a permis de quantifier leur intensité selon l’échelle utilisée actuellement.

Les données sismiques dans une région donnée reposent sur l’une des deux méthodes :

  1. Le calcul de la période de récurrence d’un tremblement de terre dans une zone donnée se calcule en divisant la période d’observation par le nombre de séismes observés durant cette même période. Si par exemple nous avons observé une trentaine de séismes d’intensité VI durant une période de 500 ans, nous pourrons conclure qu’approximativement la période de retour d’un séisme d’intensité VI dans cette région étudiée serait de 500/30 # 16 ans ;
  2. Une autre méthode consiste à constituer une série de classes de magnitudes et auxquelles on affecte le nombre de séismes correspondants pour une région donnée.

Chacune des deux méthodes présente des avantages et des inconvénients. Mais, en gestion des risques et en l’occurence en assurance par exemple, on ne s’intéresse qu’aux conséquences du tremblement de terre sur l’environnement. En d’autres termes, les évaluateurs de risques tels les assureurs s’intéressent en premier lieu aux intensités des séismes . Mais il est possible de travailler sur les magnitudes en les convertissant en intensité.

Le but de cette analyse est de déterminer la période de récurrence qui n’est en fait que la fréquence d’un séisme d’une certaine intensité susceptible de se produire.

La quantification de l’exposition des ouvrages assurés peut être atteinte en combinant les deux méthodes décrites ci-dessus.

  6.2 – Vulnérabilité aux dommages : Nature et importance des structures

  A – Analyse du risque

La vulnérabilité d’un ouvrage dépend de plusieurs paramètres tels que :

  • dispositions de constructions de l’ouvrage : symétrie, inertie, contreventement, etc. ;
  • Nature du sol d’assise des fondations ;
  • Âge du bâtiment ;
  • Matériaux de construction utilisés ;
  • Dimensionnement parasismique de la structure ;
  • Hauteur du bâtiment ;
  • Qualité d’exécution des travaux de construction de l’ouvrage .

Le cas d’un ouvrage en cours de construction diffère évidemment de celui d’un ouvrage déjà construit. Pour le cas des ouvrages en construction le risque est beaucoup plus important en milieu de période de construction qu’en fin de chantier . Vers la fin des travaux, l’ouvrage se présente comme un bloc monolithique et possède donc toutes les qualités pour mieux résister aux secousses telluriques d’un tremblement de terre éventuel.

L’estimation d’un niveau acceptable ou non de protection de l’ouvrage nous amène à quantifier la vulnérabilité de l’ouvrage face à un éventuel séisme d’une certaine intensité, en d’autres termes exprimer le montant des dommages sous forme de pourcentage de la valeur de l’ouvrage à construire. Or, il est quasiment impossible de combiner tous les facteurs cités ci-dessus pour aboutir à une quantification « objective ». Afin de faciliter la démarche analytique (sans pour autant simplifier le problème) et arriver à exprimer un Degré Moyen des Dommages (MDR = Mean Dommage Ratio), plusieurs auteurs ont proposé des courbes donnant un degré moyen des dommages (en Pourcent de la valeur de l’ouvrage) en fonction de l’intensité du séisme.

Nous renvoyons le lecteur à la courbe établie par SAUTER et SHAH (in Estudio de seguro contra terremoto par F. SAUTER et H.C. SHAH – Instituto Nacional de serugos, San Juan, Costa Rica, 1978) qui donne le MDR en fonction de l’intensité sismique et du type de construction .

  B – Paramètres préventifs en construction face aux secousses telluriques

Les paramètres de prévention et de protection contre les dommages éventuels produits par les secousses telluriques conséquentes à un séisme :

  • Formes généralement interdites dans les règlements parasismiques : l, u, t ;
  • Formes adaptées : symétriques ;
  • Constructions aptes à résister à un séisme : celles dont la capacité de dissipation est la plus élevée :
    • Fort degré d’amortissement ;
    • Capables de subir sans rupture plusieurs cycles de déformation plastiques ;
    • Existence de cloisons divisoires aidant à mieux résister aux T.T : les ossatures industrielles presque nues résistent moins ;
    • Les constructions métalliques résistent mieux que les ouvrages en maçonnerie car elles supportent mieux les déformations plastiques ;
    • Les constructions basses et rigides (périodes courtes : 0,20 à 0,25 s) sont plus sollicitées que les structures élevées et relativement plus souples (périodes plus longues).
  • Importance des contreventements

La majeure partie des effondrements qui surviennent au cours d’un séisme provient d’une insuffisance de résistance aux sollicitations latérales : c’est à dire d’un défaut de contreventement :

  • Sens transversal ;
  • Sens longitudinal.
  • Influence du sol

Les ouvrages bâtis sur un sol rocheux résistent mieux aux T.T que ceux bâtis sur sols mous (contrairement à ce qu’on peut penser : « les sols mous se présentent comme des amortisseurs »).

 Conclusion

Les séismes sont des phénomènes de catastrophe car ils engendrent la mort de plusieurs personnes en quelques secondes et des pertes matérielles ; directes et indirectes ; considérables tant au niveau économique que social.

Le Maroc n’échappe malheureusement pas à cette donne vu sa sismicité moyenne eu égard de la présence de plusieurs facteurs de risques importants et que nous devons toujours avoir présents dans nos analyses de ce phénomène :

– L’existence de la faille qui passe par la Méditerranée et qui sépare la plaque tectonique Africaine de la plaque Eurasiatique génère beaucoup de séismes au Nord du Maroc. D’ailleurs, la concentration des séismes au Nord en est la preuve ;

– L’existence de la faille qui passe par l’océan Atlantique et qui sépare la plaque tectonique Africaine de la plaque Américaine peut générer des séismes important et irriguer la totalité du Maroc. À titre d’exemple, le séisme qui avait frappé pratiquement tout le territoire du Maroc le 28 Février 1969 ; pendant la fête Aid El Kebir; en provenance de la faille des açores-Gibraltar avait généré un mini Tsunami sur les côtes marocaines telle que celle de Casablanca. En d’autres termes, le risque des Tsunami n’est pas à écarter sur les côtes maroacines ;

– Les chaînes de l’Atlas et du Rif sont sources de mouvements à ne pas négliger. N’oublions pas le fameux séisme du 24 Février 2004 et qui avait frappé la ville de Al Hoceima et ses régions et dont l’épicentre se situait à Imzouren ;

– Les failles tant actives, qu’inactives (pour le moment) représentent des risques importants. À ce sujet, nous avons toujours attirer l’attention des pouvoirs publics sur l’importance d’interdiction des constructions à proximité de ces failles : À titre d’exemple la faille de Nekkour dans la région de Nador.

Malgré l’obligation d’application du règlement parasismique dans la conception des constructions, il reste beaucoup à faire pour que son application soit respectée et qu’elle soit systématique dans toutes les constructions du Maroc.

[1] SMP (le Sinistre Maximum Possible) : c’est la valeur des équipements, installations diverses, stocks, etc. situés dans un périmètre atteint par un incendie ou une explosion dont les possibilités de transmission ou d’extension aux installations voisines sont pour des raisons d’éloignement ou de séparation physique considérées comme impossibles. Le calcul du SMP suppose qu’aucune intervention humaine ou autre n’a été utilisée pour combattre le feu.

[2] SRE (Sinistre Raisonnablement Escomptable) : indique l’étendue du sinistre susceptible de se produire dans des conditions normales d’activité, d’occupation et de défense du bâtiment considéré (par exemple une intervention des sapeurs pompiers, fonctionnement des installations automatiques d’extinction du feu,…).

Mohamed Jamal BENNOUNA
Ingénieur ESTP Expert MRICS et Docteur en Droit
Professeur associé au CNAM – Paris
Professeur associé à l’Université Internationale de Rabat – École d’architecture
Email : [email protected]

 

 

Mohamed Jamal BENNOUNA
Ingénieur ESTP Expert MRICS et Docteur en Droit

Professeur associé au CNAM – Paris

Professeur associé à l’Université Internationale de Rabat – École d’architecture

Email : [email protected]

vous pourriez aussi aimer
Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.