MAÎTRES D’OUVRAGES ET ENTREPRISES.. Y A-T-IL ABUS DE POUVOIR ? (Partie I)

Introduction

La réussite de tout projet de construction, notamment ceux de grandes ampleurs, requiert une concertation continue, un échange fluide des idées, une conjugaison permanente des efforts ainsi qu’une large coordination entre les différents intervenants aussi bien pendant la phase de la conception et des études que durant la phase de l’exécution. Ceci passe inévitablement par la délimitation correcte du champ d’action de chacun ainsi que le respect des attributions et des termes du contrat qui le lie avec le maître d’ouvrage (MOA). Ce dernier peut être une entreprise privée, un promoteur immobilier ou un particulier mais les principaux commanditaires sont généralement l’état, les collectivités locales ainsi que les établissements et entreprises publiques et semi-publiques. Etant le générateur du projet, il n’est pas confiné au simple rôle du client puisqu’il est le principal responsable qui rémunère les différents intervenants, définit les paramètres de l’exécution, fixe les exigences en matière de prix, délai et qualité, veille au bon déroulement de l’opération de construction et procède à la réception de l’ouvrage. De ce fait, même dans le cas où il n’a pas les compétences techniques nécessaires dans le domaine du BTP, sa position ainsi définie lui donne beaucoup de pouvoir et un poids plus important que celui de tous les autres intervenants, notamment l’entreprise chargée des travaux, ce qui se traduit couramment par des abus continus envers celle-ci, de la phase de l’élaboration du contrat jusqu’à la réception de l’ouvrage. Cela se manifeste clairement dans les relations liant les deux parties dans lesquelles le MOA profite de sa dominance pour bénéficier d’avantages injustifiés ou manifestement disproportionnés au regard de la consistance et montant du marché, soumettre l’entreprise à des contraintes excessives créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, obtenir des services sans passation de commande et sans engagement écrit et faire accepter des conditions incontestablement abusives sur les prix, délais de paiement et conditions de l’exécution, sous la menace d’une rupture de la relation commerciale. Cette situation est davantage aggravée lorsqu’il s’agit d’une dépendance économique dans laquelle l’entreprise se trouve dans l’impossibilité de substituer ce commanditaire par d’autres donneurs d’ordre lui permettant de fonctionner dans des conditions techniques et économiques comparables, autrement dit, une partie importante voire prépondérante du chiffre d’affaires est réalisée avec ce même client. En effet, cette dépendance économique se crée et se développe au fil du temps non seulement en cas d’insuffisance dans le démarchage qui empêche la diversification de la clientèle ou quand le client occupe une place économique prépondérante sur le marché de sorte que l’entreprise se trouve dans l’incapacité d’en prospecter d’autres mais encore, à cause de certaines relations commerciales lorsqu’elles perdurent dans le temps avec un partenaire commercial même dans le cas où le marché est concurrentiel et diversifié.

Contrat

Les contrats comportent parfois des clauses qui créent une disproportion considérable entre les obligations des parties, restreignent largement les droits de l’entreprise et renforcent ceux du MOA surtout lorsque ce dernier est une grande structure qui a l’habitude d’utiliser des contrats types prérédigés et dont les dispositions sont figées au préalable. Par conséquent, l’entreprise n’a pas d’autre choix que d’accepter les conditions contractuelles sans réelle possibilité de négociation et doit donc subir les conséquences lourdes. Pour ne citer que quelques exemples, le MOA a systématiquement le droit de décider sur simple notification et de manière unilatérale, de procéder à une gestion en régie ou de résilier le contrat au cas où l’entreprise ne se conforme pas aux stipulations du marché ou aux ordres écrits et validés d’un commun accord entre les parties. Dans ce cas, toutes les conséquences pouvant en découler et tout préjudice subi par le MOA sont à la charge de l’entreprise et les montants correspondants sont défalqués à la source de ses décomptes sans qu’elle ne puisse prétendre à aucune indemnité de quelque nature que ce soit. En revanche, aucune mesure n’est généralement prévue lorsque ces mêmes manquements sont commis par le MOA. De la même manière, des pénalités sont généralement prévues et appliquées automatiquement par prélèvement sur les décomptes mensuels sans préavis et dont le montant total peut aller jusqu’à 10% du montant du marché en cas de retard, partiel ou global, constaté sur les travaux ou sur la commande de la fourniture, d’absence à la réunion de chantier ou de retard dans la remise des plans ou autres documents. En revanche, même si des intérêts moratoires, applicables lorsque les délais réglementaires des paiements ne sont pas respectés, peuvent être prévus, les contrats ne prévoient d’habitude pas de mesures particulières en cas d’absence aux réunions du MOA, maître d’ouvrage délégué (MOD), maître d’œuvre (MOE), Assistant au maître d’ouvrage (AMO), architecte ou bureau d’études (BET) ou encore en cas de retard de validation de plans et décomptes surtout que l’approbation de ces derniers relève des fois du parcours du combattant. En effet, le circuit peut être anormalement long quand il nécessite la signature de plusieurs services, ce qui complique davantage le traitement, allonge fortement le délai et se solde par l’adoption de pourcentages d’avancement inférieurs à ce qui est escompté par l’entreprise. Ces mêmes ralentissements refont surface lors de l’examen des échantillons présentés, souvent accentués par le manque de descriptifs détaillés et précis dans le marché. Par ailleurs, lorsqu’il s’agit de marchés à prix forfaitaires, les représentants du MOA peuvent délibérément et malhonnêtement diminuer certaines quantités du détail estimatif du dossier de consultation des entreprises (DCE) afin de recevoir des offres financières intéressantes comptant sur l’insuffisance de contrôle chez certaines entreprises. Ces dernières sont, évidemment, appelées à toujours analyser et vérifier les avant-métrés mais les soumissions se font parfois dans la précipitation. Après l’adjudication, le MOA peut encore recourir au changement d’un article donné dans l’objectif de faire baisser le montant du marché en négociant au mieux le prix de l’article de remplacement.

Abdelhak EL MOULI
Directeur technique du groupe ADDOHA en Guinée

 

 

 

 

 

 

 

A suivre…

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