Le préjudice en responsabilité civile en construction et les difficultés de sa mise en jeu (I/IV)

Introduction

La définition du préjudice a toujours posé des difficultés tant aux tribunaux pour prononcer un jugement d’indemnisation de la victime, qu’aux assureurs pour indemniser l’assuré ou le tiers lésé. Afin de cerner cette problématique, on essaiera ; sans prétendre donner des réponses ou solutions toutes faites ; de délimiter la notion du dommage et dresser une cartographie des différents types de préjudices pouvant être pris en compte dans le cadre d’une éventuelle indemnisation judiciaire soit elle ou d’assurance dans le cadre d’une police d’assurance.

1 – Le dommage

Le dommage est un élément essentiel dans le processus d’indemnisation en responsabilité civile. Mais l’acceptation de réparation du dommage par le droit est assujettie à certaines conditions. Par ailleurs, il arrive très souvent qu’on utilise tantôt le terme de dommage, tantôt le terme de préjudice pour désigner la conséquence d’un fait générateur engageant la responsabilité civile du présumé fauteur.

  1 – Quelles différences entre les deux notions : Dommage et Préjudice

Tout d’abord il faut distinguer entre la notion de dommage et celle du préjudice :

– Le dommage est une notion purement matérielle. Elle représente en fait l’atteinte à une personne ou à un bien ;

– Le préjudice, quant à lui ; est une notion purement juridique. Il représente la conséquence directe patrimoniale ou extrapatrimoniale d’un dommage que le droit permet et accepte de réparer.

Cette distinction permet de faire le tri entre les dommages ignorés par le droit et les préjudices juridiquement réparables[1].

Malgré cette distinction avancée et défendue par la doctrine, les deux termes sont souvent utilisés pour synonymes.

     2 – La notion de dommage dans le domaine d’assurance

Le mécanisme d’indemnisation des assurés se base sur la notion de dommage qu’elle quelle soit la branche d’assurance. Or techniquement, un dommage matériel se définit comme une atteinte ou une altération de la substance d’une chose qui diminue la valeur de la chose endommagée ou diminue son utilité.

En cas de dommage matériel, deux seules alternatives se présenteraient :

  • a – l’altération de la substance avec diminution de la valeur de la chose endommagée ;
  • b – ou bien l’altération de la substance avec diminution de l’utilité de la chose endommagée.

Ce concept de dommage mène à définir la notion de substance telle qu’elle est comprise et interprétée dans le secteur des assurances. En fait, la substance d’une chose correspond à la qualité physique et chimique de ses composants, obtenue lors de la fabrication, du montage ou de l’exploitation de ces derniers, ainsi qu’à la capacité de fonctionnement de ceux-ci.

Par conséquent, une simple incapacité de fonctionner sans altération de la substance ne constitue pas un dommage matériel et n’est pas considérée comme un sinistre indemnisable par les assureurs. Afin d’illustrer ces situations nous donnons les exemples suivants :

– La solidification du béton dans une bétonnière

– Le gel des fours,

– Etc.

Dans ces deux cas de figures, certes le sinistre se traduit par une inutilisation momentanée du four ou de la bétonnière mais il n’y a pas eu d’altération de la matière i.e. aucune altération n’a atteint ni le four, ni la bétonnière.

Par contre, il y aurait dommage matériel lorsque par exemple des tâches dues à l’action d’un produit chimique se formeraient par exemple sur le revêtement de la façade d’un immeuble et que la valeur de l’immeuble s’en trouve diminuée.

Or une substance n’est altérée que si son état actuel diffère de son état antérieur à l’accident. Il y a donc lieu de faire une comparaison entre la situation antérieure à la survenance du sinistre et celle après sinistre.

Par ailleurs, il arrive souvent que les assureurs utilisent le mot technique « défaut ». En fait, on entend par défaut, tout écart ; volontaire ou non ; par rapport à l’état actuel de la technique et de la technologie. La référence à l’état de la technique et de la technologie est essentielle : la technique se développe et ce qu’on considère aujourd’hui comme défaut correspondait encore hier aux règles de l’art. D’où l’importance du terme « actuel » dans l’expression « l’état actuel des choses ». C’est pour cette raison qu’on utilise la notion d’obsolescence et non celle de vétusté.

Nous rappelons à cet effet les définitions suivantes :

  • L’obsolescence est le fait pour un produit d’être dépassé, et donc de perdre une partie de sa valeur en raison de la seule évolution technique, même s’il est en parfait état de fonctionnement. En d’autres termes, c’est une diminution de la valeur d’usage d’un bien de production due non à l’usure matérielle, mais plutôt au progrès technique ou encore à l’apparition de produits nouveaux généralement plus performants et offrant plus de fonctions et de fonctionnalités. Ainsi par exemple la télévision à tube cathodique est obsolète par rapport à la télévision à écran plasma et LCD.

D’ailleurs, on parle même d’intellectuels qui ne suivent pas l’évolution et le progrès technique (et donc qui ne sont pas up date par rapport à la science et à la technologie) sont taxés d’intellectuels obsolètes. A ce niveau, nous rappelons que ; pour se prémunir contre ce phénomène d’obsolescence ; les entreprises du 21ème siècle devraient exercer une action de veille technologique ou de veille sociétale pour prévoir, avec autant d’avance que possible, les changements risquant de remettre en question la valeur de leur savoir-faire.

  • La vétusté d’un bien de production représente la dépréciation d’un bien due à l’usure ou à l’ancienneté qui entraîne la diminution de sa valeur marchande. Les synonymes de la vétusté sont nombreux : vieillesse, usure, délabrement ou encore dépréciation.

Si le défaut est connu de l’assuré, on dit qu’il s’agit d’un vice. L’assuré est tenu d’éliminer le vice afin d’éviter qu’il ne provoque un dommage matériel. Les frais d’élimination des vices ne sont pas remboursables par l’assureur puisqu’il s’agit de frais qui sont ; de toute façon ; considérés comme frais inévitables à l’assuré. En d’autres termes le risque n’a plus la caractéristique d’incertitude et d’aléas mais plutôt de certitude.

Les règles de l’art sont définies comme les derniers développements pris en compte dans les nouveaux procédés, équipements et conditions d’exploitation qui répondent ; d’après les experts ; au but recherché notamment au plan de la sécurité. Les aspects commerciaux peuvent être pris en considération. Une bonne application technique est celle qui a fait ses preuves après différents tests et longue utilisation. D’où l’importance du recul observé dans le secteur tant industriel que celui du BTP pour juger de la fiabilité et de la qualité de matériaux, matériels ou procédés de construction ou industriels nouveaux soient ils.

[1] BACACHE-GIBEILI (M), Droit civil, T5, Les obligations, la responsabilité civile extracontractuelle, Beyrouth, EDITIONS DELTA, 2008, P 336.

Mohamed Jamal BENNOUNA Ingénieur

Expert et Docteur en Droit

Professeur associé au CNAM Paris – UIR – ISCAE – EHTP

Email : [email protected]

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