Entretien : Les métiers du BTP au Maroc, entre défis et opportunités

Quels métiers émergents pour les ingénieurs et techniciens marocains ?

Il faut d’abord préciser que les métiers classiques des ingénieurs et des techniciens restent toujours d’actualité, d’autant plus que plusieurs métiers sont réglementés et cadrés, étant donné les responsabilités liées à l’acte de bâtir et à la nature et la criticité des projets du BTP. Ce qui changera certainement ce sont les outils, les techniques et les méthodes de collaboration pour construire des ouvrages de plus en plus complexes et exigeants en termes d’efficacité énergétique, de durabilité et de commodité.

Ces outils et techniques feront émerger de nouveaux métiers, marqués par l’utilisation poussée des nouvelles technologies et des plateformes qui facilitent la conception, la planification, le suivi, le contrôle et la maintenance des bâtiments et infrastructures. Des métiers tels que des modeleurs et des managers en BIM (Building Information Modeling), des spécialistes en durabilité et efficacité énergétique et des spécialistes en construction robotisée.

Avec le développement numérique, les chantiers auront également besoin de développeurs de solutions digitales pour le suivi des chantiers, et qui consistent par exemple au traitement du pointage des collaborateurs, le suivi des performances de engins, le suivi en temps réel des consommations en gasoil et en énergie, ainsi que la gestion de données de chantier en vue de leurs utilisation pour l’aide à la décision.

Par ailleurs, étant donné les délais serrés des projets et les risques inhérents à la réalisation des projets en fast-track, les entreprises auront recours de plus en plus aux gestionnaires des contrats, aux responsables d’ordonnancement, pilotage et coordination, aux responsables QHSE, aux planificateurs et aux responsables d’audit et de suivi des performances des projets.

 

Comment les métiers traditionnels du BTP se transforment-ils avec la montée en puissance du BIM, de l’IA et de la robotisation ?

Même les métiers traditionnels du BTP connaissent une métamorphose importante. Les architectes, par exemple, utilisent désormais le BIM pour concevoir des bâtiments plus performants et plus durables ; un moyen qui permet aux intervenants de travailler ensemble sur le même modèle, d’impliquer les différents corps d’Etat, de réagir aux modifications en temps réel et de piloter le projet jusqu’à son parfait achèvement et de permettre même son exploitation et sa maintenance par la suite.

Les ingénieurs et les techniciens structurent leurs calculs grâce à des logiciels spécialisés, utilisent des applications mobiles pour calculer les quantités, reporter les avancements, organiser les équipes, planifier les travaux, commander les fournitures et communiquer avec les différents services de l’entreprise. Des scanners, des drones et des capteurs sont ainsi utilisés et connectés sur la même plateforme BIM (Modèle 3D avec intelligence des données).

La robotisation transforme également les pratiques, avec des robots capables de réaliser des tâches telles que les soudures en milieux inaccessibles, la capture de la réalité, l’acquisition de données géométriques, l’inspection des chantiers, l’impression 3D, le terrassement automatisé, la pose de briques et de modules préfabriqués, la découpe et le forage de précision, ainsi que l’assemblage d’éléments structurels complexes. Ces innovations permettent de réduire les délais de construction, d’améliorer la sécurité des travailleurs et de garantir une meilleure précision dans l’exécution des ouvrages.

L’IA permettra notamment de générer des modèles numériques avancés en intégrant des analyses structurales et environnementales en temps réel, améliorant ainsi la précision des conceptions. Grâce à la conception générative, les ingénieurs et architectes pourront explorer une multitude de solutions optimisées en fonction des contraintes techniques, budgétaires et réglementaires.

En matière de gestion des infrastructures, l’analyse prédictive appliquée à la maintenance permettra d’anticiper les dégradations des ouvrages en exploitant des données issues de capteurs, de drones ou d’images satellitaires. L’IA pourra analyser les tendances d’usure et proposera des interventions préventives pour prolonger la durée de vie des structures et réduire les coûts d’entretien.

Enfin, les outils d’analyse de données avancés offriront aux professionnels une meilleure visibilité sur les performances des projets, en identifiant les risques potentiels, en optimisant la gestion des ressources et en améliorant la rentabilité globale.

 

Quelles compétences techniques et numériques les ingénieurs et techniciens marocains doivent-ils maîtriser pour s’adapter aux nouvelles exigences du marché ?

Pour relever les grands défis du Royaume pendant cette phase décisive, les ingénieurs et techniciens marocains doivent impérativement maîtriser les outils numériques et développer des compétences en gestion de projet, en communication et en travail d’équipe, car les projets sont de plus en plus complexes et nécessitent une collaboration étroite entre les différents acteurs.

Avec l’évolution rapide des techniques et des technologies, la formation continue et le prompt engineering s’avèrent essentiels pour se tenir informé des meilleures pratiques du secteur et exploiter pleinement le potentiel de des nouvelles technologies.

 

Le système éducatif marocain prépare-t-il suffisamment les ingénieurs et techniciens aux nouveaux métiers du BTP ? Quelles améliorations seraient nécessaires ?

Malheureusement, nous continuons à constater un décalage entre les demandes du marché et les programmes de formation dans les écoles d’ingénieurs et techniciens ; les étudiants doivent compter sur leurs capacités à s’autoformer et à apprendre à utiliser les nouveaux outils pour intégrer les nouveaux métiers du BTP.

Le système éducatif marocain doit donc s’adapter pour former les futures générations à ces nouveaux métiers. Il est crucial par exemple d’intégrer le BIM et les technologies numériques dans les cursus de formation, de développer des partenariats avec les entreprises pour favoriser l’apprentissage sur des problématiques réelles, et d’encourager la formation continue pour permettre aux professionnels de se mettre à jour. Des efforts importants ont été réalisés ces dernières années pour moderniser les formations, mais il reste encore beaucoup à faire pour répondre aux besoins du marché.

 

Comment la transition écologique et les énergies renouvelables influencent-elles l’évolution des métiers du BTP ? Quels sont les nouveaux postes liés à ces enjeux ?

La transition écologique est un véritable catalyseur de changement pour les métiers du BTP. L’éco-construction, qui privilégie l’utilisation de matériaux durables et la conception de bâtiments basse consommation, est en plein essor. Les énergies renouvelables, telles que le solaire et l’éolien, se développent rapidement, créant de nouveaux métiers liés à l’efficacité énergétique et aux énergies renouvelables. Les ingénieurs et techniciens marocains ont l’opportunité de se positionner sur ces marchés en pleine croissance.

Avec la vision 2030, les entreprises et les donneurs d’ordre du secteur du BTP devront s’ouvrir rapidement sur l’utilisation des atouts locaux et investir encore plus dans la recherche et développement de nouveaux matériaux, procédés et techniques pour une exploitation responsable et durable des ressources.

Nous verrons ainsi des chercheurs, des experts, des formateurs, des architectes, des ingénieurs et des techniciens travailler dans les domaines de production des matériaux écologiques, de conception d’ouvrages à basse consommation d’énergie, et de mise en œuvre de sources d’énergie renouvelable et de solutions optimisant les frais d’exploitation des construction (électricité, climatisation, eau potable, etc.).

 

Quels métiers émergents seront particulièrement demandés pour les grands projets en cours au Maroc, comme le TGV, les infrastructures hydrauliques ou la Coupe du Monde 2030 ?

A mon avis, étant donné qu’il s’agit de projets stratégiques placés parmi les hautes priorités du Pays, les experts en gestion de projet seront très sollicités pour piloter et coordonner ces grands chantiers complexes. Et comme nous l’avons cité, l’utilisation des nouvelles techniques et technologies est une obligation afin de réussir ces projets de taille.

S’agissant également d’ouvrages financés pour durer dans le temps et constituer une base pour l’accélération économique du Maroc et pour encourager les investissements locaux et étrangers, les maîtres d’ouvrage seront très regardants en termes de respect des délais, des exigences qualité, sécurité et environnement. Ce qui impliquera une forte demande de profils spécialisés dans ces domaines.

Pour plusieurs projets programmés pour les 4 prochaines années, faute de temps accordé aux études d’exécution, les bureaux des études et de contrôle devront être dotés d’ingénieurs et de techniciens de très haut niveau, afin de produire des plans optimisés d’une grande qualité et permettre ainsi le déroulement des travaux dans les meilleures conditions. Ces bureaux d’études et de contrôle devront également accompagner les entreprises pour procéder aux adaptations et ajustements nécessaires sans délai.

Enfin, pour mener à bien des projets d’infrastructure aussi ambitieux que la LGV Kénitra-Marrakech, l’anticipation et la réactivité sont des facteurs clés de succès. Par conséquent, les directeurs de projets auront la responsabilité de s’assurer de l’accompagnement et l’implication de toutes les compétences  dès le début des projets (Laboratoires, géotechniciens, bureaux d’études, etc.) afin de réussir le démarrage des projets et garantir un suivi coordonné de l’exécution.

 

L’essor de l’IA et de l’automatisation menace-t-il certains emplois du BTP ou crée-t-il de nouvelles opportunités ?

L’essor de l’IA et de l’automatisation va transformer le secteur du BTP certes, mais il ne constitue pas une menace pour l’emploi. Certaines tâches répétitives seront automatisées, ce qui permettra aux professionnels de se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée. De nouveaux métiers vont être créés dans le domaine de la conception, de la maintenance et de la gestion des systèmes automatisés. Il est essentiel de se préparer à ces changements en se formant aux nouvelles technologies et en exploitant les potentiels qu’offrent ces révolutions technologiques.

Pour résumer, l’IA impactera l’emploi des personnes qui ne savent pas comment exploiter l’IA…

 

Quelles opportunités les ingénieurs et techniciens marocains peuvent-ils saisir en créant des start-ups spécialisées dans les technologies du BTP ?

Les ingénieurs et techniciens marocains ont de belles cartes à jouer en créant des start-ups spécialisées dans les technologies du BTP. Ils peuvent développer des solutions innovantes dans des domaines tels que le suivi en temps réel des chantiers, des modèles numériques de construction durable, la mise en relation entre les professionnels du secteur, les plateformes e-learning dans le secteur du BTP, la création de contenu numérique lié aux métiers du BTP, la réalité virtuelle, la réalité augmentée pour visiter un ouvrage avant sa construction, la domotique, etc. Le Maroc dispose d’un écosystème entrepreneurial dynamique et de nombreux dispositifs de soutien pour accompagner les jeunes entreprises qui veulent innover dans le secteur du BTP.

 

Certains de ces nouveaux métiers offrent-ils aux ingénieurs marocains des opportunités à l’international ? Le Maroc peut-il devenir un exportateur de talents dans le domaine du BTP ?

Certains des nouveaux métiers cités auparavant offrent des opportunités à l’international pour les ingénieurs et les techniciens marocains. Je pense que le Maroc a encore besoin de tous ses talents pour réussir les challenges de la phase actuelle, mais il peut également devenir un exportateur de talents dans le domaine du BTP, en formant des professionnels compétents et recherchés à l’étranger.

Les entreprises marocaines ont toutes les chances pour se développer et briller à l’international en proposant leur expertise dans les domaines de pointe du BTP, comme il est déjà le cas dans plusieurs pays africains, où le Maroc est perçu en tant que modèle dans ce secteur. Le Maroc a un rôle à jouer dans l’encadrement et la formation de professionnels du BTP de haut niveau, capables de répondre aux défis du marché mondial.

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