Stock invendu, demande grimpante, chantiers en baisse…

Le mardi 29 mars 2016 à Rabat, la réalité a émergé à la surface. Et c’est par Mohamed Nabil Benabdallah, le ministre de l’Habitat et de la politique de la ville, en personne, qu’elle a été décrite. Le ministre est venu présenter les résultats d’une enquête réalisée par son département, Al Omrane et la CGI, sur la demande en habitat
et pour dire que le nombre de demandes en habitat au niveau national s’élève à plus de 1.572.000 unités, dont plus de 1.300.000 en milieu urbain. Ces demandes ne concernent pas les besoins en habitat, mais correspondent à la disposition d’acquisition d’un nouveau logement telle qu’exprimée par un échantillon de plus de 55.000 ménages ayant fait l’objet de l’enquête nationale.
Il en ressort aussi que 86,5% des demandeurs optent pour l’acquisition d’un bien immobilier et que 13,3% seulement des demandeurs choisissent la location.
L’enquête nationale sur la demande en habitat révèle dans le détail que cinq principales régions attirent 77,8% de la demande globale exprimée, à savoir le Grand Casablanca-Settat (30,4%), Marrakech-Safi (16,2%) et Rabat-Salé-Kenitra (11,3%), Tanger-Tétouan-Al Hoceima (10,5%) et Fès-Meknès (9,4%). La demande immédiate (étalée sur une année) représente 78% de la demande totale exprimée, tandis que la demande différée (sur 5 ans) représente 22%. La préférence va pour les logements avec 83%, contre 17% pour les demandes de lots de terrain.
En outre, 45% des demandeurs optent pour les appartements, 34% pour les maisons marocaines modernes, 17,2% pour les lots de terrain et 1,3% pour les villas. Quant à la superficie du bien immobilier, elle est comprise entre 50 et 100 mètres carrés pour 80% des logements demandés, tandis que la superficie de 42% des lots de terrain demandés est comprise entre 80 et mètres carrés. Selon l’étude, 40,6% des demandeurs souhaitent acquérir un bien de valeur allant de 140.000 dh à 250.000 dh, précisant que 74,3% des demandeurs envisagent d’opter pour un financement différé combiné avec l’apport d’une avance et que 20,6% préfèrent payer la totalité du bien. Les demandeurs questionnés ont un âge moyen de 43 ans et un niveau moyen d’instruction primaire et collégial, tandis que 76,6% d’entre eux sont mariés et 83,4% des actifs occupés.
Cette enquête a révélé deux postulats d’une extrême
importance : d’abord, la demande est grandissante,
et non satisfaite, et, ensuite, cette demande est bien définie entermes de prix, superficieet surtout, le financement.
Les origines d’une crise
Afin de tirer au clair les raisons de cette situation, il convient d’abord de restituer les péripéties qui ont conduit à ce stade où le secteur de l’immobilier est actuellement.
Durant ces dernières années, le besoin en logement n’a pas infléchi. La production, elle, a tendance à baisser de substantielle ces deux dernière années.
Mais il existe un stock invendu de logements, notamment économiques. Paradoxe ? Non. Mais plutôt une situation des plus complexés qui mérite d’être tirée au clair.
Tout a commencé depuis l’apparition des premiers signes de la fin du boom immobilier. A partir de 2011, le secteur de l’immobilier traverse une période de turbulences qui dure encore. Les promoteurs immobiliers, qui n’arrivent pas à croire que l’euphorie est finie, voient leurs marges se compresser et le nombre de chantiers diminuer et évacuent la responsabilité de cette morosité tantôt sur les pouvoirs publics, tantôt aux banques. A ce jour, les séries de réunions de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers avec les ministres de l’Habitat, de l’Urbanisme, de l’Intérieur et des Finances n’ont donné lieu à aucun résultat concret. Pour les professionnels, les pouvoirs
publics n’accordent pas assez d’incitations fiscales et urbanistiques. Les banques, elles, sont plus regardantes en termes d’octroi de crédit. La résultante de cette mésentente générale, c’est que le secteur baigne dans la crise ?
Mais personne ne s’est demandé quel est le véritable problème du secteur de l’immobilier ? Y-a-til-une crise de l’offre ou une crise de la demande ?
La crise de l’immobilier au Maroc est le résultat et la jonction de plusieurs facteurs qui se sont conjugués pour donner ce à quoi nous assistons aujourd’hui.
Au début de la décennie 2000, l’architecture du secteur a changé. Il y a eu naissance de grands groupes immobiliers, autant privés que publics. Dans le privé, de grands Groupes Immobiliers comme Addoha, Chaâbi Liliskane, Alliances, Jamai, Berrada, Emaar, Fadesa, sans parler des groupes français et malaisiens,
ont vu le jour. Dans le public, sous l’égide du ministère de l’Habitat, sept ERAC, l’ANHI, la SNEC et Attacharouk se sont regroupés en une seule entité, à savoir le groupe Al Omrane. Favorisés par le soutien de l’Etat sous forme d’avantages fiscaux et surtout urbanistiques, liés à la dérogation, ces groupes ont entamé plusieurs chantiers à la fois, une première au Maroc : entre 2003 et 2010, des milliers d’hectares vont être convertis à l’urbanisation et des certaines de milliers de logements sont lancés : des villas, des immeubles de luxe, des projets de Golfs, des stations balnéaires…
La croissance du secteur immobilier était à sa vitesse supérieure. Et comme l’appétit vient en mangeant, le boom immobilier était accompagné par une hausse des prix et des marges bénéficiaires, ce qui ne manquait pas d’achalander les investissements directs étrangers. L’Etat et les groupes privés se livrent une course effrénée : des méga-projets concurrents sont lancés sans aucune étude préalable de marché. Tout allait pour le meilleur des mondes. Tout le monde étaot content des résultats incroyables réalisés.
Qui garantira les crédits ?
En 2006, l’Etat lance la création aux portes de Casablanca, Marrakech, Rabat et Tanger de quatre villes nouvelles.
Les groupes privés, eux, lancent aux portes de ces villes de grands lotissements lotissement, attirés par les investissements publics dans les infrastructures de base construits autour de ces villes nouvelles.
Durant le troisième trimestre de l’année 2008, la crise économique mondiale plane sur le Maroc. Le premier secteur touché est l’immobilier, du fait de la présence et l’implication de géants internationaux de l’immobilier. Ces derniers se retirent rapidement de la course et se désengagent de leurs mégaprojets lancés en grande pompe et profitant du foncier public accordé au prix symbolique (Emaar, Fadesa…). La première grande conséquence fâcheuse directe a été ressentie au niveau de l’immobilier de luxe, en particulier à Tanger et à Marrakech où les prix vont connaître une chute progressive et substantielle et où de nombreux chantiers ont été mis à l’arrêt ou carrément annulés.
La réaction du gouvernement ne va pas tarder. Il fallait bien un coup de pouce au secteur. L’Etat va alors faire la grande annonce : défiscalisation totale des investissements dans le logement social, qui bénéficie déjà d’avantages
urbanistiques liés à la dérogation. La conséquence sera notable sur les chantiers lancés. En seulement trois ans, plus d’un million d’unités sont conventionnées et près de 100.000 unités sont mises en chantiers chaque année. Actuellement, la moitié est déjà dans le circuit et ne trouve pas acheteur à cause de la cherté des prix. Le reste peine à sortir de terre. L’offre abondante s’est traduite par une stagnation des ventes et une méfiance des banques, confrontées à une situation nouvelle et inquiétante de hausse des impayés.
Normalement en période de crise, les promoteurs immobiliers sacrifient un peu de leurs marges. Ce qui devrait entraîner une baisse des prix et contribuer à relancer les achats. Ce qui ne fut pas le cas. Le boom immobilier a fait que les prix ont flambé et sont devenus hors de portée de la majorité des acquéreurs. Les cinq milliards de dirhams qui vont chaque année, depuis 2010, aux promoteurs sous forme de dégrèvement fiscaux et de rétrocession de la TVA, n’aidaient pas vraiment les acquéreurs notamment du logement économique. Le ministère de l’Habitat a découvert que l’offre en logements économiques bénéficiait plus à une catégorie aisée qui en faisait de la spéculation. Il a été conclu que les subventions des promoteurs perdent toute leur justification, puisque dans la plupart des cas, les acquéreurs proviennent souvent, de catégories sociales relativement aisées. Ces subventions doivent être accordées sous forme d’aide frontale aux acquéreurs aux revenus faibles, afin de les rendre solvables vis-à-vis des banques, ce qui permettra de liquider une partie du stock invendu, et de renforcer ainsi la solvabilité même des promoteurs vis- à-vis des banquiers.
Un crédit sur 40 ans
Et selon le ministre Benabdellah, il y a environ 1,3 million de logements sociaux que les promoteurs immobiliers peuvent construire conformément aux conventions signées dans ce sens avec le ministère de l’Habitat. Le malheur, c’est qu’aujourd’hui, l’objectif ne peut être atteint et toutes ces unités ne pourront pas être réalisées. Au plus, 500.000 logements ont été achevés ou sont en voie de l’être depuis 2010. Cela pour la simple raison que l’offre actuelle ne trouve pas acheteur. Selon M. Benabdellah, les ventes de logements à 250000 DH sur les dernières années ont permis de satisfaire la demande d’une population qui parvenait à se financer sans peine grâce à des crédits adossés à la garantie Fogarim. Mais, aujourd’hui, on a atteint «le fond du panier», pour reprendre l’expression du ministre. L’idée du département de tutelle est d’étendre la durée des crédits accordés aux acquéreurs adossés à la garantie Fogarim, de 25 ans actuellement à 40 ans. Le but de la manœuvre est de réduire l’apport personnel exigé des acquéreurs, qui s’établit actuellement autour de 50 000 DH, et surtout la mensualité qui serait ramenée de 1 200 DH en moyenne à 800 DH, selon les estimations du ministre. «C’est le seul moyen de permettre au gisement de demandes actuel, constitué pour l’essentiel de ménages ayant un revenu mensuel entre 1 000 et 1500 DH, d’accéder au logement à 250 000 DH», explicite M. Benabdellah. Ce qui représente un risque élevé pour les banques. D’où l’intérêt de détourner les subventions étatiques aux acquéreurs plutôt qu’aux promoteurs.
Dans le logement moyen standing, la proposition d’un nouveau produit de logement adapté à la classe moyenne, promise par Nabil Benabdellah et Nizar Baraka, juste après leur nomination, ne semble pas trouver preneur. La
proposition soumise concerne l’adoption d’un prix de 6.000 DH/m2 pour une superficie à partir de 80 m2. Pour ce qui est de l’aide frontale de l’État, à hauteur de 80.000 DH, telle que souhaitée par les professionnels, elle n’est pas à l’ordre du jour, compte tenu du contexte de qui caractérise la conjoncture économique nationale et vu la volonté du gouvernement de contenir les dérapages budgétaires. L’autre proposition non satisfaite par les pouvoirs publics est relative au pouvoir d’augmenter le nombre d’étages par construction. Si les premières livraisons de logement pour classe moyenne sont annoncées entre 2015 et 2016, pour l’instant, il n’y a aucune mise en chantier. Les promoteurs attendent toujours la circulaire qui accorde une construction en hauteur et un coefficient d’occupation du sol (COS) plus élevé, car, pour eux, tant que nous n’avons pas résolu l’équation du foncier, le modèle ne peut être viable. A Marrakech, comme dans d’autres villes d’ailleurs, la rareté du foncier a engendré une flambée des prix des terrains. Les prix très élevés des terrains obligent les promoteurs à construire sur des segments de luxe et de haut standing.
Cette mécompréhension et absence de communication véritable et de franchise complique davantage la situation. Les parties prenantes peinent à trouver une solution valable qui permettrait de relancer le secteur et répondre à une
demande importante en logements.

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